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Litterature Renaissance

Crédit Photo : Caves des Mascareignes

Le vin dans la littérature de la Renaissance : ivresse de savoir et symboles humanistes

Le vin à la Renaissance : entre humanisme et plaisir lettré

À la Renaissance, le vin n’est pas un simple breuvage. Il devient métaphore, figure de style, topos littéraire. Dans le sillage des humanistes redécouvrant l’Antiquité, le vin est célébré non pour ses effets mais pour ce qu’il évoque : la fertilité de l’esprit, la convivialité des banquets lettrés, l’accord des sens et de la pensée.

Sous la plume de François Rabelais, de Joachim Du Bellay ou d’Agrippa d’Aubigné, le vin traverse les genres, du pamphlet au sonnet, du récit épique à la satire. Il y incarne à la fois le logos et le pathos : il parle à l’âme autant qu’au corps.

Rabelais : Bacchus au pays des géants

Une satire vineuse et savante
Dans Gargantua et Pantagruel, François Rabelais donne au vin une place centrale. Il n’est pas simplement associé à la fête, mais à la sapience. Les personnages de Rabelais, érudits et gargantuesques, célèbrent le vin comme ferment de la pensée.

« Jamais homme noble ne hait le bon vin. » (Pantagruel, Livre I)

Rabelais, médecin et moine défroqué, tisse dans ses écrits un lien direct entre la liberté de penser et la liberté de boire. L’ivresse qu’il évoque est avant tout celle de l’imagination, celle qui délie la langue et stimule la verve. Le vin y devient une allégorie du savoir joyeux et transgressif.

Les poètes de la Pléiade : le vin comme muse terrestre

Du Bellay, Baïf, Ronsard : entre carpe diem et héritage antique

Le vin chez les poètes de la Pléiade n’est pas éloigné de celui des odes d’Horace. Il est une source d’inspiration, une invitation à vivre dans l’instant, à célébrer la beauté du monde.

Chez Joachim Du Bellay, le vin apparaît dans ses sonnets comme un contrepoint au mal du pays ou à la vanité des grandeurs :

« Plus me plaît le vin de ma Loire / Que l’eau claire de l’Arno. »
(Les Regrets, sonnet XXXI)

Ici, le vin est aussi mémoire, ancrage dans une terre natale, manière d’exprimer la nostalgie douce-amère de l’exil romain.

Chez Ronsard, il est associé à la sensualité, au cycle des saisons, à la fuite du temps :

« Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie. »
– et le vin en est souvent le sous-texte fluide.

La symbolique du vin dans les traités et dialogues de l’époque

Au-delà de la poésie, la Renaissance voit paraître de nombreux traités des bons vivants ou dialogues philosophiques où le vin fait figure de pivot entre le corps et l’âme. L’influence de Platon s’y conjugue avec celle de Bacchus. Le banquet devient lieu de l’échange intellectuel. Le vin, dans cette tradition, est un liant social, un révélateur du vrai.

Dans ces textes, il n’est jamais question de consommation effrénée mais d’une dégustation mesurée, harmonieuse, dans la droite ligne d’un idéal humaniste fondé sur l’équilibre des plaisirs.

 

Héritage antique et réinvention humaniste : un vin lettré

La Renaissance réinvente le vin en le sortant de la seule sphère rurale ou religieuse. Il reste, bien sûr, un élément du sacré chrétien, mais il s’enrichit d’une épaisseur littéraire nouvelle. Il devient une métaphore cultivée, souvent teintée d’érudition.

Loin de toute trivialité, le vin est alors synonyme d’abondance rhétorique, de puissance poétique, de lucidité satirique. Il est tout autant une figure du langage qu’un motif de la pensée.

Saveurs et Cultures : résonances créoles d’un imaginaire humaniste

Loin des châteaux de la Loire ou des tavernes de la Renaissance, l’île de La Réunion cultive à sa manière l’héritage lettré du vin. Si la vigne n’y est pas une culture dominante, le vin s’inscrit pourtant dans le patrimoine symbolique de l’île : par les rites religieux, les traditions familiales, les mots créoles et les récits du quotidien.

L’esprit de la Renaissance — son goût du débat, de la fête, de la parole libérée — trouve ici un écho vibrant dans la diversité culturelle réunionnaise. Entre marmites parfumées, musiques de l’oralité et récits de migration, les saveurs rencontrent les cultures, dans une alchimie qui rappelle celle des banquets antiques et des cercles poétiques du XVIᵉ siècle.

Lire Rabelais ou Du Bellay à La Réunion, c’est aussi ressentir ce lien invisible entre le vin de la Loire et le rhum arrangé des Hauts, entre le sonnet humaniste et le maloya, entre le verbe ancien et la langue créole d’aujourd’hui.

Sur cette île-monde, le vin de la Renaissance ne s’oublie pas — il change de verre, mais non d’esprit.

Conclusion : une invitation à lire et à ressentir

À travers les textes de la Renaissance, le vin n’est jamais un simple motif pittoresque. Il est révélateur d’une époque qui cherche à conjuguer les plaisirs de la vie avec les exigences de l’esprit. Il devient le miroir d’un homme en quête d’équilibre entre nature et culture, entre chair et verbe.

Revisiter ces textes à la lumière des cultures créoles, c’est prolonger cette tradition d’ouverture, de curiosité, de beauté partagée. Une invitation, non à lever le verre, mais à ouvrir les livres — et à écouter ce qu’ils ont à dire, depuis les vignes d’antan jusqu’aux rivages de l’océan Indien.